La Fenêtre
Les murs sont encore plus lézardés. Ta main te tire, tire sur le
lien. Tire. Une corde sanguine entre tes mots et
Ton être, une corde brillante sur laquelle tu cours infiniment jusqu’au papier. Jusqu’à tes mots.
Les mots ? Pour les comprendre, tu réalises qu’il ne faut pas les comprendre mais t’en imprégner.
Les murs sont parcourus de veines rouges. Le sol aussi, les pages se nourrissent sans fin de tes mots.
Les mots ? En un sens, l’écriture est une sorte de dessin, surtout lorsqu’elle est calligraphiée et contient une foule de symboles. Et encore plus lorsque ses lettres au sens de ? ou ?… Lorsque ses lettres
ne sont pas des lettres au sens de ? ou ? mais sont reliées profondément au Vivant, comme, par exemple, les Oghams.
Les Oghams ou l’Alphabet des Arbres… Chaque « lettre », alignée en colonne de bas en haut ou en ligne de gauche à droite, représente un Arbre et représente les vertus bien distinctes de celui-ci, en fait de lettre, il s’agit plutôt de traits : à droite du tronc, à gauche, obliquement en travers de celui-ci, perpendiculairement en travers de celui-ci, montant par groupe de cinq à mesure que l’Arbre croît. Et chaque Ogham a une couleur ; son lien, qu’il soit brun, marron, rouge, vert, vert foncé… De la Naissance - Beith, le Bouleau - à la Mort et à la Résurrection - Idad, l’If.
Car tout est là : l’écriture, pour être
réellement puissante, doit agir comme lien permanent et vivant avec ce qui vit - oui, c’est une répétition…
«
Mais d’où vient l’alphabet latin ? Les lettres sont-elles entièrement artificielles, où découlent-elle logiquement du dessin ? Sont-elles une dernière lueur de symbolisme surnageant dans la prison du vocabulaire ?
Les phrases sont puissantes sur les Hommes.
Les mots les sont encore plus.
Mais qu’en est-il des lettres ? »
Oui, bonne question. Qu’en est-il de ces
lettres que tu relies par
Ton propre sang pour tenter de dépasser
Ton rationnel et d’aller plus le plus loin possible « au fond des choses » ? De ces lettres que tu utilises… Tu commences à en prendre conscience.
Le simple fait de tracer un
a devient un acte sacré, un
art millénaire au même titre que celui de reproduire l’Alphabet des Oghams… Ce dernier est relié aux Arbres, écriture sacrée des anciens Druides venue du Dieu Ogma selon la mythologie, et il a même le pouvoir de transmettre les vertus curatives, poétiques ou divinatoires de son Arbres originel.
Pourquoi écris-tu ?
Pour exister ? Pour ne pas sombrer dans la dépression ? Pour continuer d’atteindre le monde des Rêves ? Pour étaler ta science ? Pour assouvir un but égoïste et purement humain de reconnaissance ? Parce que cela t’est vital ? Parce que c’est une maladie ?
Pour trouver un sens à la Vie ?
Et pourquoi écris-tu en Alphabet Latin ?
«
Parce que je l’ai appris »
Rien de plus ?
Et si l’écriture latine même, dont la plupart usent sans même y penser, était porteuse d’une lueur symbolique, même faible ?
«
Les mots sont une bougie que l’Homme allume ou éteint des deux doigts, le dessin est une boule immémoriale et élémentale de terre. Les mots sont Toile et le dessin est Terre…
Aujourd’hui, tout le monde à son écriture, tracée avec son sang et son âme, reflétant l’être qui l’use ; mais auparavant le traçage des lettres était encore plus codé : écriture carolingienne, semi-insulaire irlandaise, capitale romaine… Et ces trois types d’écritures « officielles » seulement pour l’alphabet latin ; encore aujourd’hui l’écriture arabe est - ou semble être - d’un modèle unique, l’écriture grecque, l’écriture cyrillique, l’écriture chinoise le sont aussi. Autant d’alphabets que de symboles.
Étymologiquement, lettre
vient soit : du radical sanskrit likh
- graver, écrire -, soit de linea
- enduire .
La lettre est donc faite pour reste gravée dans la mémoire au même titre que le dessin l’est, et la lettre est le fil qui tisse la toile du mot, lequel s’agrandit en phrase, laquelle s’agrandit en un ensemble de phrases et donc de toiles intimement reliées sur lesquelles nous avons suspendus nos vies… Tant de choses tiennent à quelques mots !
Juste continuation du dessin ?
Variante humaine née de sa séparation d’avec le reste du Vivant ?
Épreuve à réaliser pour conscientiser le sacré de l’art de tracer une belle lettre
?
Les Occidentaux utilisent un ensemble de lettres pour tracer un mot, les Arabes et les Asiatiques, pour ne citer qu’eux, se servent encore du dessin pour former des idées et des émotions.
Mais la lettre n’est-elle pas porteuse d’émotion, selon la manière dont la main la calligraphie ? Un E est plus doux, plus fluide qu’un K rude et frappeur… »
Pourquoi écris-tu ? Pour trouver un sens à la Vie ?
Mais la Vie n’a pas d’autre sens qu’elle-même. Et son contraire, la non-vie, cette carapace creuse d’indifférence, n’a pas d’autre sens qu’elle-même non plus.
Regarde. Essuye cette buée, souffle cette poussière sur la Fenêtre.
Que vois-tu ?
D’autres boîtes. Certaines avec des fenêtres, d’autres sans, flottant dans le néant. Toutes de béton. Sont-elles habitées ? Sont-elles vivantes ? La non-vie est cette carapace creuse d’indifférence qui étouffe bon nombre qui se croit en vie. La non-vie plonge dans ce bain lourd où même manger est torture, où la présence des autres est torture, avec leurs dialogues insignifiants dont tu te fiches complètement, eux qui t’accusent par leur présence même, d’autant plus insupportables que tu pratiques exactement la même chose. Malheureux existentialisme, malheureuse Raison.
Trier.
Ranger.
Étiqueter.
Classer.
La Vie fait mal car son autre face complémentaire est la Mort, mais seule la Raison nous commande d’en avoir peur car elle ne peut pas la cerner… La Vie fait mal parce qu’elle est vive et ressentie, la Mort aussi, alors que dans la non-vie on ne ressent plus rien.
Il te faut
voir.
Ondule tel l’Océan… Tel le Serpent… A travers le labyrinthe.
«
Comment voir ? »
Il existe une solution. Oui, celle-là. Tu te lèves, et, implacablement, lances ton crâne à l’assaut du mur. Ta tête se fend, et, comme tu t’écrases, jaillit l’éclair qui aveugle la pièce, déchire la fenêtre et la projette en miette sur le sol et sur ton corps. Avec un bruit de fin d’un Monde et de naissance d’un autre.
[L'étymologie du mot
lettre a été trouvée sur le dictionnaire Littré en ligne]